L’identité est au coeur de la bibliothérapie en tant que le sujet est un être en devenir - tout au long de notre vie, nous sommes amenés à évoluer, à muer, à advenir à nous-mêmes - La lecture est un processus qui ne faillit pas à cette rupture, à ce renouveau, à cette renaissance de nous-mêmes. « Vivre, c’est naître à chaque instant » (Erich Fromm, 1981). La bibliothérapie en lien avec l’herméneutique implique que « l’identité est une identité narrative », liant le je suis au je deviens, tous deux « articulés dialectiquement par un je-néant ».
L’identité repose sur la permanence et la singularité du sujet. Le sujet est identique à lui-même, c’est en cela que son identité est permanente. En outre, on parle d’identité personnelle ou individuelle, c’est en ce sens qu’elle est « unique ».
L’identité ne peut être définie sans le rapport qu’elle entretient avec le monde, l’environnement et les autres. L’identité est en lien avec « l’environnement social » - L’individu agit et pense à travers cette interaction - Les personnages de la dramaturgie agissent dans ce sens. Harpagon ne vit que pour son argent et ne peut se réprimer lorsqu’il pense que les autres ne vivent également que pour lui dérober cet argent. Cette attitude des personnages de la dramaturgie démontre qu’il s’agit bien d’une « construction du sujet » dans la mesure où son attachement à cette idée qu’il transforme en une conviction dépasse la réalité mais néanmoins « engage son existence ».
D’un point de vue philosophique sur la question de l’identité personnelle, on peut différencier deux écoles :
Ecole de Descartes et Hegel qui appréhende le sujet en tant qu’il est « identique à lui-même dans la diversité de ses états : Un sujet = un Moi et un Je »
Ecole de Hume et Nietzche qui postule que le sujet en tant qu’il est identique est « une illusion substantialiste ».
Si l’on se place dans l’optique de la bibliothérapie, « l’identité est un non-lieu ». L’’être humain n’est pas un être statique, il est tout au contraire un être en devenir - il est en mouvance, animé par des transformations et renaissances continues.
D’un point de vue terminologique, on distingue deux formes d’identité:
L’identité comme mêmeté du latin idem : cette notion évoque une « permanence dans le temps », une forme d’immobilisme. Le Moi de cette identité mêmeté est un Moi qui appartient au présent et ne se décline pas au mode pluriel. C’est un Moi statique.
L’identité comme ipséité, du latin ipse, soi-même qui est une identité dynamique, en mouvement, en recherche d’inconnu.
Martin Heidegger a fait du Dasein ( Dasein = infinitif substantivé du verbe allemand Dasein que l’on peut traduire par « être là » et par « être présent » dans la tradition philosophique) le concept central de son ouvrage Etre et temps ( Sein und Zeit ). Le Dasein pour Heidegger est « un être particulier et paradoxal » - il s’agit d’un individu confronté à sa mort, pleinement conscient de « cet état » et bien qu’enfermé dans sa solitude, il est « toujours au monde » auprès des choses.
Par conséquent, l’identité comme ipséité admet que l’autre est différent. L’identité narrative d’un individu admet l’interprétation sans fin du récit et inclut les interprétations antérieures, postérieures ainsi que les étapes intermédiaires. Il en résulte que « l’identité narrative est la résolution du cercle herméneutique » ( Ouaknin ). Pour Ouaknin, l’identité personnelle est « une dialectique qui oscille entre la mêmeté de soi et l’altérité de soi ».
Mais cette question de l’identité nous amène à suivre l’interrogation d’Heiddeger sur « Le principe d’identité », interrogation qu’il formula lors d’une conférence en 1957 : « Comment la différence procède-t-elle de l’essence de l’identité? » ( en philosophie, l’essence désigne une distinction de l’être - l’essence est « ce que la chose est » par opposition au concept d’ « existence » qui définit « l’acte d’exister » - ). Heiddeger prend l’identité comme point de départ et la positionne entre « être » et « penser », idée empruntée à Parménide - elle est la clé de toute identité - Heidegger se dirige ainsi vers une « coappartenance de l’homme et de l’être ».
Dès lors, on peut en conclure que « l’essence de l’identité appartient en propre à la copropriation ». Le solipsisme ( du latin solus = seul et de ipse = soi-même) qui trouve son absolutisme dans l’idéalisme de Hegel avec son concept de moi-sujet-isolé, en tant qu’elle est la seule « manifestation de conscience » hors de doute, aboutissant à la représentation incertaine du monde et de ses habitants ne trouve pas écho chez Paul Ricoeur. Paul Ricoeur tente d’extraire le sujet de sa solitude en « instituant une communauté narrative ». Dans la mesure où le sujet en racontant « ce qui lui advient » se construit et édifie une « temporalité », il sera dès lors en mesure de « rencontrer autrui ».
Bibliographie
Chauchat, H. (1999). Chap. 1. Du fondement social de l’identité du sujet. Dans : Hélène Chauchat éd., De l’identité du sujet au lien social : l’étude des processus identitaires (pp. 3-26). Paris cedex 14, France : PUF.
Fromm, E., 1981. La nature du bien-être, évolution psychique, in Bouddhisme Zen et psychaanlyse, PUF, Coll. Quadrige, p.98.
Moreau, D. (2017). L’identité narrative : « un rejeton » substantiel?. Le Télémaque, 51(1), 59-78.
Ouaknin, M. A., 2016, Bibliothérapie : Lire, c’est guérir, Seuil
Tirvaudey, R. (2012). L’ipseité et l’altérité en question : Heiddeger, Sartre, Kierkegaard. Revue philosophique de la France et de l’étranger, tome 137(3), 341-356.
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